Chamisso, Adelbert von: MERVEILLEUSE HISTOIRE DE PIERRE SCHLÉMIHL. Paris, 1838.plus riches et des plus royales majestes qui Un jour il arriva aux bains un negociant plus riches et des plus royales majestés qui Un jour il arriva aux bains un négociant <TEI> <text> <body> <div n="1"> <p><pb facs="#f0063" n="43"/> plus riches et des plus royales majestés qui<lb/> eussent jamais existé. Seulement on se deman-<lb/> dait quel pouvait être mon empire. Le monde<lb/> n’a jamais eu, que je sache, à se plaindre de<lb/> la disette de monarques, et moins de nos jours<lb/> que jamais. Ces bonnes gens, qui cependant<lb/> n’en avaient encore vu aucun de leurs yeux,<lb/> devinaient l’énigme avec autant de bonheur les uns<lb/> que les autres. J’étais tantôt un souverain du nord;<lb/> tantôt un potentat du midi. Et, en attendant, le<lb/> comte Pierre restait toujours le comte Pierre.</p><lb/> <p>Un jour il arriva aux bains un négociant<lb/> qui avait fait banqueroute pour s’enrichir; il<lb/> jouissait de la considération générale, et réflé-<lb/> chissait devant lui une ombre passablement large,<lb/> quoiqu’un peu pâle: il venait dans ce lieu pour<lb/> dépenser, avec honneur, les biens qu’il avait<lb/> amassés. Il lui prit envie de rivaliser avec moi<lb/> et de chercher à m’éclipser; mais, grâce à ma<lb/> bourse, je menai d’une telle façon le pauvre<lb/> diable, que pour sauver son crédit et sa répu-<lb/> tation, il lui fallut manquer de rechef, et re-<lb/> passer les montagnes; ainsi j’en fus débarrassé.<lb/> — Oh, que de vauriens et de fainéans j’ai fait<lb/> dans ce pays!</p><lb/> </div> </body> </text> </TEI> [43/0063]
plus riches et des plus royales majestés qui
eussent jamais existé. Seulement on se deman-
dait quel pouvait être mon empire. Le monde
n’a jamais eu, que je sache, à se plaindre de
la disette de monarques, et moins de nos jours
que jamais. Ces bonnes gens, qui cependant
n’en avaient encore vu aucun de leurs yeux,
devinaient l’énigme avec autant de bonheur les uns
que les autres. J’étais tantôt un souverain du nord;
tantôt un potentat du midi. Et, en attendant, le
comte Pierre restait toujours le comte Pierre.
Un jour il arriva aux bains un négociant
qui avait fait banqueroute pour s’enrichir; il
jouissait de la considération générale, et réflé-
chissait devant lui une ombre passablement large,
quoiqu’un peu pâle: il venait dans ce lieu pour
dépenser, avec honneur, les biens qu’il avait
amassés. Il lui prit envie de rivaliser avec moi
et de chercher à m’éclipser; mais, grâce à ma
bourse, je menai d’une telle façon le pauvre
diable, que pour sauver son crédit et sa répu-
tation, il lui fallut manquer de rechef, et re-
passer les montagnes; ainsi j’en fus débarrassé.
— Oh, que de vauriens et de fainéans j’ai fait
dans ce pays!
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