Chamisso, Adelbert von: MERVEILLEUSE HISTOIRE DE PIERRE SCHLÉMIHL. Paris, 1838.Bendel cependant qui, plein d'inquietude, Bendel cependant qui, plein d’inquiétude, <TEI> <text> <body> <div n="1"> <pb facs="#f0086" n="64"/> <p>Bendel cependant qui, plein d’inquiétude,<lb/> avait suivi jusqu’ici mes traces, arriva en cet<lb/> instant. Cet excellent serviteur me trouvant en<lb/> larmes, et voyant mon ombre, qu’il lui était<lb/> impossible de méconnaître, au pouvoir de cet<lb/> étrange individu, résolut sur-le-champ de me<lb/> faire rendre mon bien, dût-il avoir recours à<lb/> la violence. Il s’adressa d’abord au possesseur,<lb/> et lui ordonna, sans plus de discours, de me<lb/> restituer ce qui m’appartenait. Celui-ci, sans<lb/> daigner lui répondre, tourna le dos et s’éloigna.<lb/> Mais Bendel le suivant de près, et levant sur<lb/> lui le gourdin d’épine qu’il portait, lui réitéra<lb/> l’ordre de remettre mon ombre en liberté, et<lb/> comme il n’en tenait compte, il finit par lui<lb/> faire sentir la vigueur de son bras. L’homme<lb/> en habit gris, comme s’il eût été accoutumé à<lb/> un tel traitement, baissa la tête, courba le dos,<lb/> et, sans mot dire, continua paisiblement son<lb/> chemin sur le penchant de la colline, m’enle-<lb/> vant à la fois et mon ombre, et mon ami. J’en-<lb/> tendis encore long-temps un bruit sourd raison-<lb/> ner dans le lointain. Je restai, comme aupara-<lb/> vant, seul avec ma douleur.</p> </div><lb/> <milestone rendition="#hr" unit="section"/><lb/> </body> </text> </TEI> [64/0086]
Bendel cependant qui, plein d’inquiétude,
avait suivi jusqu’ici mes traces, arriva en cet
instant. Cet excellent serviteur me trouvant en
larmes, et voyant mon ombre, qu’il lui était
impossible de méconnaître, au pouvoir de cet
étrange individu, résolut sur-le-champ de me
faire rendre mon bien, dût-il avoir recours à
la violence. Il s’adressa d’abord au possesseur,
et lui ordonna, sans plus de discours, de me
restituer ce qui m’appartenait. Celui-ci, sans
daigner lui répondre, tourna le dos et s’éloigna.
Mais Bendel le suivant de près, et levant sur
lui le gourdin d’épine qu’il portait, lui réitéra
l’ordre de remettre mon ombre en liberté, et
comme il n’en tenait compte, il finit par lui
faire sentir la vigueur de son bras. L’homme
en habit gris, comme s’il eût été accoutumé à
un tel traitement, baissa la tête, courba le dos,
et, sans mot dire, continua paisiblement son
chemin sur le penchant de la colline, m’enle-
vant à la fois et mon ombre, et mon ami. J’en-
tendis encore long-temps un bruit sourd raison-
ner dans le lointain. Je restai, comme aupara-
vant, seul avec ma douleur.
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